[Il n'y en a pas que
pour les étoiles disparues, Edmonde Charles-Roux ou autre André Turcat. Il y a aussi
les anonymes du circuit, qui méritent bien un petit hommage. Ici, Pierre
Bardot, grimpeur et observateur de la nature, évoque Yvon Cuisinier, l'homme au
triporteur du CD 17, que les anciens ont connu. Yvon est mort à l'hôpital d'Aix
dans la nuit du 1er au 2 novembre 2019]
"C'est un frère", disait de lui l'un d'entre nous. Même
s'il n'apparaissait que de manière espacée, Yvon montrait effectivement
toujours une présence amicale, faisait preuve d'une gentillesse discrète et
tenace, sans jamais déballer idées ou jugements politiques, ni rancœurs, ni
propos désobligeants à l'égard de quiconque.
Il arrivait au débotté, refaisait miraculeusement tourner le
moteur d'essuie-glace que vous croyiez fichu, déshabillait en un clin d'œil
votre portière, et le remonte-vitre acceptait docilement de fonctionner. Avec
le même soin qu'il adoptait pour la sienne, il démontait méticuleusement votre
moto et vous la remontait à petites giclées de burette après avoir tout
astiqué; et ça pétaradait de nouveau. Et puis il repartait après un apéro, une
soupe et une bonne discussion, ayant enfourché son deux-roues comme un
destrier, chargé de son fourbi d'outils qui l'accompagnait toujours. Il
repartait vers son plessis de Puyloubier, parfois par des nuits mouillées ou
gelées, cuirassé de plusieurs couches de vêtements.
Puyloubier qu'il ne quitta que pour de rares et brèves
incursions en Bretagne ou en Allemagne. Son fief, c'était la Sainte-Victoire,
la Sainte, surtout sa face sud. Ces dernières années, bien que ne faisant pas
son âge, il éprouvait du mal à marcher; mais il avait beaucoup arpenté sa
montagne, seul ou avec les Eclaireurs, et visité ses entrailles avec les
spéléologues. Il en avait une connaissance directe, sensible, et vous faisait
découvrir des coins à fossiles, d'anciennes canalisations, des grottes, de
petits avens, un chemin abandonné, mainte anecdote passée.
Totalement autodidacte, il aimait les magazines
scientifiques, d'astronomie surtout. Par ciel nocturne limpide au col des
Portes, il savait démêler du fouillis d'étoiles bien des constellations, et
déterminer la planète plantée là.
Sur la route, c'est lui qui quittait sa monture pour en
déblayer le caillou ou la branche qui l'encombrait. A Saint-Antonin, c'est à
lui que les propriétaires confiaient leurs clefs lors de leurs absences
prolongées. Bâtiments et jardins étaient alors en bonnes mains. Yvon avait la
noble simplicité du cantonnier qui aime et connaît son territoire sans en
posséder un seul arpent.
Mais, entre cette dernière Toussaint et le jour de la fête
des Défunts, discrètement, très inopinément, Yvon est parti vers d'autres
espaces, d'autres paysages. La D 17, les pierriers et chemins de la Sainte
gardent en eux son souvenir. Nous aussi qui le connaissions, car nous aimions
vraiment Yvon.
Merci pour cet hommage.
RépondreSupprimerPour avoir partagé des kilomètres en compagnie d'Yvon il y a bien longtemps, partagé des discussions sur les Kreidler, sur le gouffre du Garagaï, pour la simplicité de ces moments passés, je referais bien le chemin en sa compagnie.
Pierre