La conférence
organisée au Tholonet par l'Association pour Sainte-Victoire le 17 octobre 2019
a permis à un public très nombreux (salle pleine, environ 120 participants, dont le maire) et
très attentif de suivre l'exposé bien documenté de Bernard Comte sur la
pénétration du loup dans nos régions. Celui-ci a travaillé sur le terrain
depuis une douzaine d'années comme lieutenant de louveterie et a observé de
nombreuses meutes ou loups isolés.
Son approche
très pédagogique a permis d'aborder successivement l'histoire du loup, sa
classification et sa biologie, son évolution en France, son impact sur
l'élevage et sa gestion (voir ici le diaporama présenté, dû à B. Comte, P.
Orsini et diverses associations de chasseurs de grand gibier).
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Dans un cahier de l'école de St-Antonin-sur-Bayon |
Animal
mythique, le loup a été longtemps assimilé au Diable, tant il a pu, avant
l'éradication de la rage, transmettre facilement la mort (une morsure, c'était
la mort sûre…), d'où sa place dans les contes et les légendes. Au milieu du
19ème siècle, le loup était encore assez largement présent en Provence, en
témoignent ces lettres retrouvées à l'école de St-Antonin-sur-Bayon : "Une
louve hors d'âge a été tuée il y a peu de temps dans la commune de St-Marc par
un cultivateur. Nos lecteurs savent que la capture d'une louve donne lieu à une
prime de 25 Francs" (4 janvier 1840); ou encore : "La battue aux
loups ordonnée dans la commune de St-Antonin et les environs étant fixée au
dimanche 13 octobre, toutes les permissions de chasse sont suspendues (…).
Chacun aura le droit de prendre part à la battue à la condition expresse de ne
tirer que sur des loups" (6 octobre 1844).
Après un
exposé sur la morphologie du loup, son identification, son mode de vie et de
reproduction (qui permettra aux participants de ne pas prendre un chien de
berger ou un renard pour un loup…), Bernard Comte a évoqué la progression
exponentielle de la présence du loup dans nos régions, depuis que l'espèce est
protégée. Cette progression s'explique par la déprise rurale, l'extension des
forêts, la présence de nombreux ongulés (comme le chevreuil), la proximité avec
ces immenses territoires peu occupés que sont le Grand Site Ste-Victoire,
Cadarache, le camp de Canjuers, la Parc du Verdon, le Mercantour (puis l'Italie).
Cette présence ne menace plus directement l'homme (qu'en principe le loup
évite), mais génère un prélèvement de plus en plus important sur l'élevage (cf.
graphique sur l'évolution des attaques et des victimes au sein du bétail).
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Evolution des attaques et des victimes, 1994-2018 |
Les
contre-mesures prises contre cette prédation inévitable (protection des
troupeaux, élimination de 100 loups programmée en 2019, sur une population
globale estimée à 530 unités) n'ont qu'un impact limité. Très intelligent, le
loup s'adapte, et par exemple attaque de jour quand les troupeaux sont bien
protégés la nuit. Les outils à disposition des bergers (clôture électrique,
utilisation de chiens patous, regroupement des troupeaux) n'empêchent pas toute
attaque. Ces outils peuvent présenter de sérieux inconvénients écologiques :
par exemple, surpâturage des entrées et abords d'enclos, élimination de la
"petite faune" (mulots, marmottes, écureuils, genettes etc.) par les
patous qui sont aussi chasseurs, gêne pour les randonneurs à cause des clôtures
et des chiens etc. Tout ceci sans compter le coût que représentent les
indemnisations (toujours par défaut), les équipements de protection,
l'entretien des chiens etc. Un aspect secondaire non négligeable est, du fait
de l'attractivité du loup, le développement de pratiques malsaines comme le
croisement avec des chiens, qui peut produire de dangereux animaux hybrides
(imprégnés par l'homme et donc de comportement ambigu).
L'acceptation
de la présence du loup, facile et parfois excitante pour les urbains, est moins
évidente pour les ruraux, qui craignent en particulier que la disparition des
troupeaux ne permette plus le maintien d'espaces ouverts –nécessaires tant pour
lutter contre l'incendie que pour favoriser certaines espèces comme les
rongeurs ou les grands rapaces.
Dans un massif
comme Sainte-Victoire, selon des informations données lors de la conférence par
Gilles Cheylan, ex conservateur du Muséum d'Aix et ex-vice-président du
Conservatoire des Espaces Naturels PACA, deux meutes existeraient au nord et au
sud. Leur présence est avérée par de nombreux indices, de même que celle de
chamois, bouquetins ou mouflons. Selon Sandrine Débit, agro-pastoraliste venant
du CERPAM (et chargée du développement de la filière ovine dans les
Bouches-du-Rhône), plusieurs attaques ont été observées et l'installation ou le
maintien de troupeaux sur le Grand Site Concors-Ste-Victoire est un défi
difficile, malgré les aides et le soutien de certaines autorités. Attirés par
un métier au grand air, la plupart des bergers répugnent à faire de l'élevage
en milieu clos. Vantés par certains, les modèles italiens (Abruzzes) ou
roumains ne seraient pas aussi idylliques qu'annoncé, avec des problèmes
similaires de cohabitation de l'élevage en extérieur avec le loup. Partout,
l'élevage extensif aurait sérieusement régressé.
Face à ce
questionnement, une participante a inévitablement demandé : "Mais alors, à
quoi sert le loup?". Invité à répondre pour défendre l'intérêt de la
biodiversité, Gilles Cheylan a fourni une réponse logique mais décevante :
"Je ne peux pas répondre à une telle question : quelle est l'utilité du
loup? Pas plus que je ne répondrais sur l'utilité du moustique". Ayant
entendu un discours étayé, mais essentiellement à charge (avec un orateur ayant
eu à réguler la quantité de loups et une oratrice chargée de défendre les
éleveurs), l'assistance aurait aimé écouter un argumentaire sur l'importance de
la biodiversité et de la préservation d'une espèce qui se situe au sommet de la
chaîne alimentaire. Un participant maugréait en partant : "Le moustique,
franchement, on s'en débarrasserait bien, surtout quand il est importé
d'ailleurs. Alors le loup, est-ce qu'on en a vraiment besoin?". Ce débat,
courtois et fondé sur des constats difficilement contestables, mériterait donc
d'être poursuivi par une présentation d'une vision écologique plus large,
faisant place aux arguments de scientifiques naturalistes.
(B. de Saint-Laurent, ASV)