Pourquoi s'opposer à ce projet? Certainement pas par refus
de principe des énergies renouvelables –celles-ci demeurent souhaitables dès
lors que les conditions d'implantation et d'exploitation respectent l'intérêt
général. Mais, en l'espèce, le projet d'Artigues et Ollières nous semble
discutable au moins sur trois aspects :
- Le défaut le plus évident du projet est son intrusion visuelle dans le paysage du massif de Sainte-Victoire. Deux photomontages, l'un dû à l'ASV, l'autre à l'association DECAVI ("Défense du Cadre de Vie de Sainte-Victoire", une des associations plaignantes avec la SPPEF, "Société de Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France") montrent l'impact visuel de ce parc géant de 22 aérogénérateurs de 90 m de haut (125 m avec les pales), implanté sur les crêtes d'Artigues et Ollières à une altitude comprise entre 540 et 615 m, en prolongement de la barre rocheuse de Sainte-Victoire et à 8 km seulement du Pic des Mouches pour la plus proche. Les autorisations préfectorales ignoraient cet impact paysager, alors qu'il serait très facile avec les moyens techniques actuels de réaliser des simulations 2D et 3D, plus précises et plus révélatrices que celles des associations (l'étude d'impact ne comporta aucune simulation de ce type). L'espace naturel concerné (de l'est des Bouches-du-Rhône au nord du Var) est aujourd'hui intact de toute altération du paysage. Et il ne suffit pas de penser aux approches par les routes, car par exemple les éoliennes seront très visibles des randonneurs. Ajoutons que, selon la plainte, les éoliennes seraient également préjudiciables à la vue de la basilique de Saint-Maximin, qu'elles sont situées à moins de 500 m d'habitations (en méconnaissance du Code de l'urbanisme) et que le défrichement autorisé en 2017 constitue une modification substantielle du projet initial, sans qu'une nouvelle autorisation environnementale ait été demandée.
Photomontage ASV (vue depuis le sud – seules 8 éoliennes sur 22 sont représentées) |
Photomontage DECAVI (vue depuis l'ouest, 11 éoliennes représentées) |
- Le deuxième défaut tient à l'impact local de ce projet gigantesque sur l'environnement (avec 48 MW installés et un investissement de 75 millions d'euros, ce serait de loin le plus grand parc éolien du sud de la France, dépassant largement la vallée du Rhône). Pour tenir bon dans une région ventée, chacune de 22 éoliennes est supportée par un pied d'environ 1 500 tonnes de béton –socle qui restera probablement à jamais sur place, même quand les machines seront démontées. Le chantier lui-même implique de déblayer 25 000 m3 de sol extrait au brise-roche, de créer 7,4 km de pistes, de réaliser environ 1 700 rotations de semi-remorques de 50 T etc. Plusieurs associations et spécialistes ont dénoncé l'impact correspondant sur les insectes (diane, criquet hérisson, lucane cerf-volant par exemple), les nombreuses espèces de chauves-souris, l'avifaune (aigle de Bonelli, aigle royal, circaète, etc.), les reptiles et amphibiens etc., soulignant les défaillances et la sous-évaluation de l'étude d'impact de Provencialis sur de nombreux points (si bien que la DREAL a sollicité les associations compétentes pour contribuer à la rédaction de prescriptions plus exigeantes). Une des éoliennes est ainsi en position de col et risque d'être meurtrière pour les oiseaux et chauve-souris.
Implantation des éoliennes, entre 8 et 12 km à vol d'oiseau du Pic des Mouches |
- Le troisième défaut est lié à l'aberration économique d'un projet né en 2002, à une époque où les incitations gouvernementales à produire "vert" étaient élevées. Pour assurer artificiellement la rentabilité des éoliennes, un tarif de rachat de l’électricité garanti par l’État supérieur de deux fois au prix du marché de l’électricité a été défini en France (ce tarif a été jugé comme une aide illégale par la Cour de Justice de l’Union Européenne, mais il a été malgré cela reconduit par le Ministère de l'Ecologie en 2013). En réalité, ce tarif est trois fois supérieur au prix du marché en tenant compte du caractère intermittent et aléatoire du vent (l'Etat s'obligeant à racheter cette électricité, même en période de surproduction). Contrairement à d'autres filières, il y a en outre peu de perspectives de baisse des coûts à long terme (aucune rupture technologique n’est envisagée), faisant de ce type de projet éolien un fardeau permanent pour le contribuable. Notons que ces coûts n'intègrent en aucune façon la perte de valeur paysagère et autres externalités négatives (nuisances) pour les riverains, la faune, la flore.
Du côté positif de l'opération, des ressources annuelles de
l'ordre de 500 000 euros bénéficieront aux collectivités locales. Le chantier
offrira 50 000 heures de travail dont 80% à des entreprises locales. Par la
suite, une dizaine d'emplois qualifiés permanents seront créés pour l'entretien
des machines. La région PACA récupérera une partie de son retard en termes
d'éolien. On peut aussi mentionner le fait que la zone touchée est traversée
par une ligne à haute tension, maigre consolation qui évitera cependant la
création d'un long réseau de raccordement. Enfin, en raisonnant sur le cycle de
vie complet d'une éolienne (fabrication, installation, exploitation,
démantèlement), le bilan en termes d'émission de gaz à effet de serre (13
grammes de CO2 émis par KWh produit) est très inférieur à celui du
photovoltaïque (48 grammes) et bien sûr du charbon (environ 1000 grammes) –mais
équivalent à celui du nucléaire (16 grammes) et triple de celui de
l'hydraulique (4 grammes).
Le projet éolien d'Artigues et Ollières a connu depuis ses
débuts en 2002 diverses phases de "stop and go", au rythme des
autorisations, contestations, dérogations, annulations… dans un contexte
changeant. Au départ, le projet comportait 40 machines allant jusqu’à
Seillon-Source-d’Argens, ce qui gênait l'armée (proximité de Canjuers,
hélicoptères) et les villages voisins. Il a obtenu une autorisation de défrichement
en 2007 puis un premier permis de construire en 2008. Créée par de jeunes
ingénieurs marseillais, la petite entreprise ciotadine Eco Delta a eu des
difficultés à assembler un financement conséquent (mais elle a récemment levé auprès
du fonds Eiffel Investment Group un financement relais de 20 millions d'euros).
Elle s'est efforcée depuis 2014 d'améliorer l'insertion environnementale du
projet. Reste que le processus est épuisant, aussi bien pour cette petite
entreprise qui porte différents projets éoliens (dont aucun ne semble
opérationnel), que pour les associations (qui ont bien failli jeter l'éponge, à
la suite de jugements précédents les déboutant).
Une intrusion dommageable dans le prolongement proche des paysages de Cézanne… |
La position de l'Association pour Sainte-Victoire est
l'objet d'un débat interne. En 2017, l'ASV a aidé les associations plaignantes
en fournissant différents éléments illustrant les risques du projet. A nouveau
sollicitée récemment par l'association Vent de Colère (qui combat, au niveau
national, divers projets jugés contestables de champs éoliens), l'ASV est
partagée entre considérer qu'Artigues et Ollières se situent hors de son
périmètre statutaire (celui du Grand Site) et reconnaître au contraire que
l'impact visuel ignore les frontières administratives. Le projet des 22 éoliennes
de l'ouest-Var aura un impact durable au moins aussi important que la cheminée
et les tours de refroidissement de Gardanne –une pollution visuelle (désormais
inutile) dont se passeraient bien les habitants et les usagers du pays d'Aix et
de Sainte-Victoire… Vous pouvez exprimer votre avis en commentaire à cet
article, nous en tiendrons compte !
(Bénédict de Saint-Laurent, administrateur, ASV)
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