La question a été posée cet été.
Chaque année, le loup étend sa présence depuis les Alpes jusqu'à cette pointe
de nature enfoncée dans la basse Provence que représente le massif de
Sainte-Victoire-Concors, et c'est bien pour la biodiversité. Chaque année aussi
(mais, là il faudrait du recul), la région semble devenir plus sèche, plus
encline à brûler. Depuis longtemps, la déprise agricole abandonne de nouveaux
espaces à des friches, à des broussailles et à des forêts naissantes. Il
faudrait que ces territoires, en particulier les prairies herbeuses, puissent
continuer à être entretenues par des troupeaux (moutons de préférence aux
chèvres, équidés), de façon à éviter l'extension de la forêt. Or les bergers
sont de moins en moins enclins à faire paître leurs troupeaux quand la
présence, même épisodique, du loup fait peser un risque sur les bêtes et leur
maître – qu'il s'agisse de prélèvement (théoriquement compensé) ou de stress
(plus complexe à apprécier, et non indemnisé…).
Dans Sainte-Victoire, le berger
de Vauvenargues a eu des pertes dues au loup. Le berger de Saint-Antonin est
parti avant la fin de son contrat de 5 ans, abandonnant une bergerie-tente qui
avait été difficile à faire accepter par la Commission des Sites, et qui se
dégrade inexorablement (ce sera bientôt un déchet à évacuer…). Certes, quelques
chèvres sauvages habitent le versant sud et le Cengle. Des mouflons assez
nombreux occupent les fortes pentes. Et les ânes du Département sur-pâturent
les prés sous la Maison Sainte-Victoire, et broutent très extensivement
quelques hectares des près de Coquille. Mais tout le reste des glacis du
versant sud (plus de 900 ha selon le plan Natura 2000) n'est entretenu qu'en
bordure de route. La photo ci-dessous (cliquer dessus pour mieux voir) montre, sur l'exemple du pré en face de la
chapelle romane de Saint-Antonin, à quel point les arbres et broussailles gagnent du terrain
quand l'espace n'est pas entretenu –en l'occurrence, il s'agit de feuillus
(aulnes glutineux), mais le plus souvent, c'est le pin d'Alep qui colonise les
prés.
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Chapelle du gué de Saint-Antonin à l'automne 2017 (gauche) et 2012 (droite) |
Alors, faut-il faire barrage à
l'installation durable du loup? Les suivis réalisés par l'Office National de la
Chasse et de la Faune Sauvage (Réseau loup-lynx) montrent que Sainte-Victoire
est à présent classée en ZPP (zone de présence permanente) pour le loup. Il n'y
a pas forcément encore existence d'une organisation en meute, mais pratiquement
toutes les ZPP alpines passent à ce stade un jour ou l'autre. Il est clair
qu'une telle présence est a priori très décourageante pour les éleveurs. Donc
inquiétante vis-à-vis du risque d'incendie, lequel a aussi d'autres causes
(changement climatique, en particulier). Et par ailleurs, si le traitement de
la question du loup semble souvent une condition nécessaire pour l'installation
ou le maintien de bergers, ce n'est pas une condition suffisante, car il faut
aussi régler les questions de locaux (logement et bergerie…).
Le sujet est très polémique et
divise les responsables comme les associations. En général, les urbains à
sensibilité écologique sont favorables au loup –alors que les habitants du
milieu rural regrettent les troupeaux et craignent l'incendie… Peut-on imaginer
une "barrière" au niveau de la crête de Sainte-Victoire, le loup
étant accepté au nord, refusé au sud – lequel est plus sec, avec des enjeux
d'entretien plus exigeants? Cela n'a probablement pas de sens pour une espèce
par nature très mobile, très nomade. La cohabitation, avec des enclos
sécurisés, des chiens patous? Ces solutions sont contestées par les bergers, et
le loup s'y adapte, capable d'attendre ou de contourner les obstacles. En
outre, les chiens patous sont parfois agressifs vis-à-vis des promeneurs.
Réguler la population de loups, autoriser davantage de prélèvements? Le
Ministère de la Transition Ecologique n'a autorisé que l'abattage de 40 loups
entre le 1er juillet 2017 et le 30 juin 2018, soit le même nombre que pour la
période 2016-2017, et dix fois moins qu'espéraient les bergers…
Certains évoquent un modèle
italien, ou plus précisément des Abruzzes, avec une plus grande accoutumance au
loup. Cette région a déployé sa propre stratégie, associant des bergers souvent
immigrés (roumains), un chien de défense pour une cinquantaine de bêtes, des
enclos peu esthétiques et un écotourisme centré sur le loup. Un modèle qui
ravale les pasteurs au niveau du folklore, avec des sorties naturalistes, et
une attirance fondée sur l'imaginaire du loup… Cela peut sembler paradoxalement
artificiel.
La question reste donc entière
de savoir à qui appartiennent les vastes territoires naturels et qui est
légitime pour s'en approprier l'usage (urbains, écologistes, pratiquants,
touristes, ruraux, chasseurs, exploitants etc.). L'ASV a envisagé d'organiser
un débat sur le sujet, mais les positions semblent peu conciliables. Une
réflexion sereine serait pourtant bienvenue... Un article plus complet (réservé
à nos membres) sera publié dans notre prochain bulletin fin novembre.
(Bénédict de Saint-Laurent, ASV)